Le palais de la Cité était la résidence des rois de France pendant
quatre siècles. Transformé en palais de Justice, il est le centre névralgique
de l’administration judiciaire française depuis mille ans. Plus grand bâtiment
sur l’île de la Cité, il occupe près d’un tiers de l’île.
Après la conquête de
Gaule par les Romains en l’an 52 avant notre ère, un temple païen fut construit
à l’est de l’île de la Cité, où se situe Notre-Dame aujourd’hui, tandis qu’à
l’ouest fut construit un palatium, ou
palais, pour le gouverneur de Lutèce, envoyé de Rome. L’empereur romain Julien
s’y établit en 357, suivi de Valentinien Ier quelques années plus
tard. A la chute de l’Empire romain en 476, la Gaule fut envahie à partir du
nord par les Francs, qui la conquirent en 486. A cette époque, Paris
n’était pas une grande capitale – elle n’était même pas une grande ville – et
le palais de la Cité devint la résidence parisienne des rois mérovingiens lorsqu’ils
étaient de passage dans la ville.
A la fin du Xe
siècle, Robert II le Pieux, fils d’Hugues Capet et deuxième roi capétien, fut
le premier souverain à s’installer au palais de la Cité de façon permanente. Il
fit reconstruire le palais et son Aula
Regis (Salle du Roi), qui devint le centre administratif du royaume. Il fit
construire également la chapelle Saint-Nicolas. A l’ouest du palais se trouvait
le jardin du roi, sur le point aval de l’île de la Cité.
Louis VI le Gros fit
construire une tour pendant la première moitié du XIIe siècle qui
prit le nom de « Grosse Tour ». Son fils, Louis VII le Jeune,
continua l’aménagement du logis royal. C’est également pendant son règne que
furent construites des boutiques d’orfèvrerie et des bijouteries sur le pont au Change en face du palais. En 1163 commença la construction de la cathédrale
Notre-Dame de Paris, qui dura près de deux siècles.
Philippe II Auguste, fils
de Louis VII, fut le premier grand bâtisseur de Paris. Les rues de Paris,
autrefois pavées par les Romains, étaient couvertes d’un millénaire de boue. Le
roi fit paver les rues autour du palais mais c’est pour l’enceinte de Philippe Auguste qu’il est connu à Paris aujourd’hui. Commencée en 1190 et terminée en
1215, cette muraille de 5100
mètres engloba la capitale pendant près de deux cents
ans. Au-delà des limites occidentales de la ville fut construit un donjon nommé
le Louvre pour protéger Paris d’une
éventuelle attaque anglaise. Le palais de la Cité perdit ainsi son rôle de
forteresse.
Sous Louis IX, le palais
connut une croissance importante. Ayant racheté les saintes reliques à Baudouin
II à Constantinople, Saint Louis fit raser la chapelle Saint-Nicolas et fit
construire la Sainte-Chapelle entre 1242 et 1248 pour les héberger. Le roi paya
135 000 livres
tournois (environ trois millions d’euros) pour les reliques, 100 000 livres pour
la fabrication de la chasse en argent incrustée de pierres précieuses, destinée
à recevoir les reliques, et seulement 40 000 livres
pour la construction de la Sainte-Chapelle. Le roi fit construire un accès
direct de ses appartements à la Sainte-Chapelle. Saint Louis érigea également
la tour des Réformateurs, qui servait de salle de torture et fut plus tard
rebaptisée la « tour Bonbec ».
Fils de Louis IX,
Philippe III le Hardi continua les travaux entrepris par son père et fit
étendre le palais au-delà de ses limites gallo-romaines. Mais c’est son fils
Philippe IV le Bel qui accomplit les plus grands travaux du palais depuis sa
construction. L’Aula Regis de Robert le Pieux fut démolie pour faire place à la
Grand’Salle. Cette immense espace fut décoré de quarante-deux statues des rois,
du roi mythique mérovingien Pharamon d
jusqu’à Philippe le Bel. Les statues des successeurs de Philippe IV étaient
rajoutées jusqu’à la disparition de la Grand’Salle. A 63 mètres de long sur 27 mètres de large et
haute de 8,5 mètres ,
cette salle fut l’une des plus grandes d’Europe. La Grand’Salle servait de lit
de justice au roi (une session de Parlement pour approuver les édits royaux, où
le roi était allongé sur un lit de coussins sous un dais) et de salon de
réception. Les invités du roi mangeaient autour de la longue table en marbre
noir, dont un morceau est exposé aujourd’hui dans la salle des Gens d’Armes. La
Grand’Salle basse, ou la salle des Gens d’Armes, servait de réfectoire pour les
deux mille employés. Elle a survécu aux ravages du temps et aux nombreuses
modifications du bâtiment, c’est aujourd’hui le hall d’entrée de la
Conciergerie. Au nord furent réalisées des « chambres sur l’eau »
dont la Grand’Chambre, où siégeait le Parlement de Paris. Philippe le Bel
renforça également les tours au nord avec, à l’est de la tour Bonbec, la tour d’Argent
et la tour de César.
Les trois fils de
Philippe le Bel régnèrent successivement sous les noms de Louis X le Hutin,
Philippe V le Long et Charles IV le Bel. Lorsque ce dernier mourut sans
héritier mâle, la dynastie des Capétiens s’éteignit et son cousin, Philippe VI,
accéda au trône, établissant la dynastie des Valois.
Le fils de Philippe VI,
Jean II le Bon, continua les travaux entamés par son grand oncle, Philippe IV. Il
acheva les cuisines au nord de la Grand’Salle basse et édifia une tour de guet
à l’extrémité nord-est du palais.
Charles V, fils de Jean
II, devint régent du royaume pendant la captivité de son père à Londres. Le 22
février 1358, le prévôt des marchands de Paris Étienne Marcel, essayant
d’obtenir des réformes du dauphin Charles avant d’approuver le paiement d’une
rançon aux Anglais, s’introduisit au palais avec ses hommes, qui tuèrent les
maréchaux de Champagne et de Normandie. Cet acte mit fin aux quatre siècles où
le palais de la Cité jouait un rôle central dans les affaires d’état. Dès 1360,
le dauphin quitta l’île de la Cité pour s’installer dans des résidences plus
sécurisées : le Louvre, l’hôtel Saint-Pol et le château de Vincennes. Il
fit construire une nouvelle muraille sur la rive droite, dite l’enceinte de
Charles V, ainsi que la Bastille. Le nouveau gardien du palais de la Cité
s’appelait le concierge et l’ensemble des bâtiments sous sa charge fut
désormais nommé la Conciergerie. Charles V rajouta à la Conciergerie l’un des
plus beaux objets de la ville, qui orne toujours l’angle du boulevard du Palais
et le quai de l’Horloge : en 1370, la tour de guet de Jean le Bon fut
dotée de la première horloge publique de Paris. La tour de guet devint la tour de l’Horloge.
Bien que le palais
continuait de recevoir des fêtes royales et d’héberger le Parlement, la place
libérée par la famille royale fut reconvertie. En 1381, sous Charles VI, le
rez-de-chaussée du logis royal devint une prison, recevant les prisonniers du
Parlement jusqu’alors gardés à la prison du Châtelet. La plupart des cellules
furent aménagées dans la partie nord de la Conciergerie.
Au début du XVIe siècle, Louis XII fit construire
la Chambre des comptes, conçue par l’architecte italien Fra Giovanni Giocondo
et somptueusement décorée.
Sous Henri III, dernier
roi de la dynastie des Valois, commença la construction du Pont Neuf en 1578,
qui entraîna le remblayage de l’extrémité ouest de l’île de la Cité ; les
îlots île de la Gourdaine, île aux Vaches et île aux Juifs furent réunis à
l’île de la Cité. En 1585, l’horloge publique de Charles V fut restaurée, avec
la mise en place d’un nouveau cadran et l’encadrement réalisé par le sculpteur
Germain Pilon.
Henri IV, premier roi de
la dynastie des Bourbons (la dernière dynastie des rois de France), relança
l’économie après des décennies des Guerres de Religion. Sur l’île de la Cité en
1607, l’année de l’inauguration du Pont Neuf, il accorda au premier président
du Parlement, Achille Ier de Harlay, le droit d’aménager l’espace
entre le palais et le nouveau pont, sacrifiant le jardin du roi. Trente-deux
maisons furent construites au cours de l’un des premiers développements
immobiliers de Paris, la place Dauphine.
L’aménagement de Paris
continua pendant le règne de Louis XIII, avec le lotissement de l’île
Saint-Louis et la construction des quais en pierre aux bords de la Seine. Depuis
la construction du quai nord de l’île de la Cité, la salle des Gens d’Armes se
trouve à moitié en-dessous du niveau de la rue. Le 7 mars 1618, un incendie
détruisit la Grand’Salle, avec ses statues des rois et sa célèbre table en
marbre noir. Elle fut reconstruite par les architectes Salomon et Paul de
Brosse et achevée en 1622.
Sous Louis XIV furent
reconstruites les chambres des requêtes, du Parquet et du Greffe. L’aménagement
à l’ouest du palais ouvrit une entrée du côté de la place Dauphine.
Le 26 octobre 1737,
pendant le règne de Louis XV, la Chambre des Comptes construite sous Louis XII
fut consumée par un incendie. Une nouvelle Chambre des Comptes fut érigée par
l’architecte Jacques V Gabriel, achevée en 1740.
La nuit du 10 janvier
1776 survint un nouvel incendie. Louis XVI engagea successivement les
architectes Joseph-Abel Couture, Pierre-Louis Morreau-Desproux, Jacques-Denis
Antoine et Pierre Desmaisons pour construire une nouvelle entrée de style
néoclassique. La Grosse Tour, construite au XIIe siècle sous Louis
VI, fut démolie en 1778. En 1787 fut réalisée la grille en fer forgé et doré,
qui donne sur la cour du Mai, côté du boulevard du Palais, œuvre de Pierre
Desmaisons, le maître serrurier Bigonnet et le sculpteur Antoine Rascalon.
La Révolution bouleversa
le pays entier et la Conciergerie ne fut pas épargnée. Les corps administratifs
de l’Ancien Régime, notamment le Parlement de Paris, furent remplacés par des corps
révolutionnaires et le palais de la Cité ne garda que ses fonctions
judiciaires. L’installation du Tribunal révolutionnaire dans les bâtiments
associerait pour toujours la Conciergerie avec la Terreur. Antoine
Fouquier-Tinville, accusateur public du Tribunal, s’installa au premier étage,
entre les tours de César et d’Argent. L’ancien palais des rois devint
l’antichambre de la guillotine ; le passage d’un prisonnier à la
Conciergerie était la dernière étape avant sa montée sur l’échafaud. Avant de
partir, le condamné passait par la salle de la toilette où il était débarrassé
de ses effets personnels (qui seraient pris soit par l’Etat, soit par le
bourreau) avant de se faire lier les coudes et couper les cheveux. Ensuite, il
passait par le guichet du greffe d’où il accédait à la cour de Mai où attendait
la charrette qui l’emmenait à la place d’exécution, et qui transportait
normalement plusieurs condamnés à la fois. Très peu des 2768 personnes
incarcérées pendant la Terreur évitèrent la guillotine. Parmi les condamnés les
plus célèbres, Marie-Antoinette passa ses deux derniers mois détenue à la
Conciergerie, jusqu’à son procès dans la Grand’Chambre suivi de son exécution
le 16 octobre 1793 en place de la Révolution.
Malgré la prétendue
dissolution des divisions sociales depuis la chute de la monarchie, la prison
avait trois classes de cachots : les pailleux pour les plus pauvres, où
les prisonniers dormaient sur la paille, les pistoles pour la classe moyenne,
dotés des lits et enfin des cellules solitaires pour les gens plus aisés, avec
un lit, du papier, de l’encre et une lumière. Egalement, la qualité de la nourriture
changeait selon le loyer payé par le détenu.
Sous Napoléon Ier
naquit la Cour de cassation, l’héritière du Parlement de Paris. L’architecte
Antoine-Marie Peyre fit rehausser la salle Saint-Louis, où s’installa la Cour
de cassation.
Sous la Restauration,
Louis XVIII fit faire une reconstitution de la cellule de sa belle-sœur plus
une chapelle expiatoire à côté. En 1817, l’entrée de la prison fut déplacée sur
le quai de l’Horloge. Dès lors, l’entrée de la cour de Mai ne servait qu’au
palais de Justice.
Louis-Philippe Ier
engagea l’architecte Guy de Gisors pour la restauration de la galerie
Saint-Louis en néogothique, de 1833 à 1835. Un projet de l’architecte
Jean-Nicolas Huyot, où une grande partie du palais, dont la tour Bonbec, aurait
été démolie, ainsi que la place Dauphine, fut abandonné après la mort de
l’architecte en 1840. Le projet de Louis-Joseph Duc et d’Étienne-Théodore
Dommey, avec la construction d’une nouvelle cour de Cassation à l’ouest du
palais, fut adopté en 1847.
Après la chute de la
Monarchie de Juillet en 1848, ce fut sous le Second Empire et Napoléon III que
commença en 1856 la construction de la nouvelle cour de Cassation, couronnée par
aigles impériaux. Les façades nord-est de la Conciergerie furent restaurées
dans le style néogothique et la tour Bonbec fut rehaussée au même niveau que
les tours de César et d’Argent. Sous la direction du baron Eugène Haussmann,
une grande partie de l’île de la Cité médiévale fut rasée et les anciennes
ruelles si propice à la propagation de choléra éliminées. L’île devint un
centre d’administration.
La chute du Second Empire
à la suite de la Guerre franco-prussienne de 1870 se termina avec le Siège de
Paris, qui fut suivi de la Commune de Paris de mars à mai 1871. Parmi les
grands monuments de Paris incendiés par les Communards pendant la Semaine
sanglante du 21 au 28 mai 1871 se trouvait le palais de Justice. La salle des
Pas-Perdus - qui avait remplacé la Grand’Salle - et la Grand’Chambre furent
entièrement consumées. La Troisième République entreprit de reconstruire la
ville. En 1874, la façade orientale de la place Dauphine avec ses maisons du
début du XVIIe siècle fut démolie, comme suggéré par Eugène
Viollet-le-Duc, pour mettre en valeur la nouvelle façade ouest du palais de
Justice. La nouvelle Grand’Chambre de la Cour de cassation fut inaugurée en
1892. L’ensemble des travaux, commencés en 1883 sous la direction de
l’architecte Honoré Daumet, fut achevé en 1914. La prison de la Conciergerie
ferma ses portes définitivement en 1934.
Aujourd’hui, le palais de
Justice héberge les plus grands corps administratifs de la juridiction
française, notamment la Cour de cassation. Le tribunal de grande instance de
Paris, ainsi que la Direction régionale de la police judiciaire de Paris, qui
occupe actuellement le côté méridional du palais au 36, quai des Orfèvres,
devraient déménager à la nouvelle Cité judiciaire de Paris, actuellement en
construction au quartier des Batignolles dans le 17e arrondissement,
en 2017. Ce projet, lancé sous la présidence de Nicolas Sarkozy, a un coût
estimé à 2,7 milliards d’euros. La Cour de cassation et la Cour d’appel
resteront au palais de Justice et seront rejointes par le Conseil de
prud’hommes, actuellement situé dans la rue Louis-Blanc dans le 10e
arrondissement, et l’École nationale de la Magistrature, actuellement dans la
rue Chanoinesse sur l’île de la Cité.
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